THE BEGINING OF.
 
Performance audio chorégraphique et culinaire
Autour de Pascal Rambert
 
Une proposition d’Olivier Dohin
 
Conception : Olivier Dohin et Raphaël Dupin
Participation artistique : Cécilia Ribault (Voix et danse), Raphaël Dupin (danse)
 
Production A-Propos, avec le soutien de la cie Off / pOlau
 
Plate-forme de création, la compagnieOff / pOlau accueille des équipes artistiques qui situent
leur recherche sur l’espace de représentation, le rapport au public ou encore l’espace public.
 
 
«Mais l’image poétique a touché les profondeurs avant d’émouvoir la surface.»
G. Bachelard.
 
 
     Mettre un mot    ; pour se faire comprendre, pour s’entendre ; pour définir ce qui se passe, ce qui va se passer.
 
    Tentative échouée : The begining of. est tout à la fois concert, spectacle,  installation, performance...Tous les termes pourraient convenir, mais aucun ne peut tout  contenir. Chacun des interprètes de cette « pièce », au sens de « entité », possède un langage  artistique et une personnalité propre.
 Confronter les visions de chacun et se mettre d’accord sur l’univers à traverser. Trois interprètes, et un texte, celui de Rambert, le début de l’A., comme terreau de la rencontre, du travail à mener.
 
    Evoluer dans un espace qui ne serait plus social, qui ne serait plus rien d’autre que celui où deux êtres peuvent se mettre à nu. Espace de dépouillement, non pas pour répondre à des codes ou des normes de pensée, mais plutôt pour permettre à l’humain d’exister, pleinement, dans toutes ses dimensions, dans l’essence de lui-même.
 
The begining    of., tente de relever le défi. Mettre à nu un espace pour qu’il devienne juste espace, et projeter au-dedans une rencontre, celles de deux êtres qui se découvrent l’un l’autre à mesure qu’ils se découvrent eux mêmes.
 
    Sortir du carcan social, retrouver l’organicité de chaque individu. Ne pas leur faire abandonner leur singularité, bien au contraire. Un homme et une femme, un danseur, une chanteuse, un même dialogue : celui qui au delà d’une apparente différence se veut être universel. Je suis différent de toi, mais pourtant nos corps sont faits de la même matière, de chair et de sang. Nous réagissons tous les deux aux événements qui nous entourent, à l’espace qui nous entoure. Et si nous prenons juste    le temps nécessaire pour nous en rendre compte, alors la    rencontre est possible, alors le dialogue arrive, et je peux me tenir là, devant toi.
« Quand elle arrivera visage ne cache rien, offre toi telle que la vie
t’a fait, tiens en toi là, là où  tu seras le plus visible, dans la lumière
de néon, ne cache rien, ne cherche pas à paraître plus beau, plus
formidable, plus éclatant, montre toi, place toi sous le néon, dan,s la
position du ravi, dans la position de l’abruti, par amour que l’aimée
vient cueillir. »P. Rambert, Le début de l’A.
 
 
 
 
    Le rapport au public se trouve lui aussi confronté à cette intention de ne rien cacher, de dévoiler au-delà du social, au-delà de la représentation, de l’image, ce qui pourrait faire sens en chacun de nous.
 
    Proposer une immersion dans l’instant, au travers d’une expérience sensorielle, tant spatiale que temporelle, afin de « rechercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui donner de l’espace », nous dit Italo Calvino dans Les villes invisibles.
 
    Le rapport au public acquiert une singularité résidant dans le simple fait que celui-ci ne se trouve pas face à une représentation. Il se situe dans, avec et autour de ce qui se déroule.
Il en est tout à la fois l’acteur et le témoin. Sa présence est tant indispensable, c’est à lui de se créer sa propre logique narrative et dramaturgique, plutôt que superficielle,    qu’il se trouve ou non dans l’espace, la pièce conserve son rythme et son histoire. Rien n’est donner comme  étant prêt à consommer, à voir, à percevoir, tout se situe dans la possibilité d’éprouver une succession d’instants, ce qu’Harendt définit comme un    « non-espace-temps », une « région de penser », où le présent n’existe pas, où la question essentielle est celle du devenir.
 
    Donc pas de scène. Pas de rapport frontal. Pas d’instrumentalisation des sensations. La réception de l’acte se veut avant tout décéptive, comme pour barrer la route à une fausseté des
sentiments, à un pathos trop lourd. Le temps s’étire, se déconstruit, se disloque pour ne plus
être métré, pour se libérer, pour s’affranchir, et permettre à chacun de passer d’un espace-
temps représenté à un espace-temps vécu.
    La relation d’espace entre l’objet et le sujet est extraordinairement intense, car profondément ancrée dans une instabilité, une incertitude, la possibilité d’une mort, d’une chute. Dans l’espace, l’appui est temporaire et éphémère, il fond, se dissout, et oblige de ce fait le sujet à demeurer en constant déséquilibre, en recherche infinie de nouveaux appuis et ce, non pas dans le simple but de se déplacer, mais parce qu’il existe un état de fébrilité, une tension instable, une constante déformation reformation de l’espace. Dès lors, l’individu ne peut faire abstraction de son corps, puisque c’est sa perception sensorielle qui est affectée. Il doit donc constamment se réorganiser, se re-situer par rapport à l’espace en mouvement qui l’entoure, espace en mouvement qui va générer des poussées, contre poussées, relâchements, aspirations, suspensions dans le corps de celui qui expérimente ce bouleversement.
 
    Ce qu’il est intéressant de lire dans le rapport de l’individu à l’espace ne peut donc pas résider dans une vision euclidienne, géométrique, de droites, courbes ou diagonales. Ce sont
les tensions qui existent entre le sujet et l’objet, les sujets et les objets, ou bien encore les sujets entre eux qui permettent de percevoir des diagonales, des courbes et des droites, formées par le jeu des poussées, contre poussées, ajustements des    appuis. D’où un questionnement relatif à l’architecture, à l’urbain. Comment sortir de cette intention euclidienne, qui cherche à produire du beau au travers du    géométrique, en    oubliant les états de corps    des    sujets qui traverseront, useront des espaces ainsi créés, générant un possible sentiment d’aseptisation ? Aseptisation dûe au fait que la place donnée au vide ne laisse pas au corps le droit de cité. Le sujet est fait de chair, mais aussi de sensations, de perceptions, d’épaisseur. Ce corps à 360 degrés, se retrouvera de fait contraint dans un espace géométriquement référencé, où le vide est trop plein.
 
 
    L’individu se situe certes dans une relation à l’autre, mais aussi dans une relation à tout ce qui existe autour. Il évolue ainsi dans un espace en constante dilatation rétraction ; on n’est jamais seulement deux, on est toujours plus.
Dès lors, il se construit par ce qu’il induit dans l’espace, mais aussi par l’espace des autres, et ce même s’il n’y    a que deux sujets en présence. Ils ne sont pas présents, ils sont co-présents dans un espace qui possède et qui est façonné par une incroyable mémoire, un vécu sensible, qui traverse les corps. On évolue dès lors dans la sphère du vivant, qui ne peut laisser l’Etre insensible.
 
1  Il est ici fait référence aux écrits de Isaac Joseph, qui décrit dans le passant considérable avec beaucoup de justesse cet état de dialectique entre le sujet et l’espace. Notons aussi, dans l’étang, de Virginia Woolf, la qualité étherique de la mémoire de l’espace, qui se forme par agrégation du souvenir  des événements passés.
Concepts...
Ce que je projette va, quelque part me revenir, en se reflétant    sur moi, et/ou sur les autres.     
C’est cet état de fait qui fait de l’espace en danse, et de l’espace en général, une entité de flottements internes, d’incertitudes.
 
    L’espace n’est pas seulement une entité pratique, il est d’abord entité poétique, imaginaire.
C’est en ouvrant vers l’autre, et en prenant en compte non pas une relation exclusive des deux
individus mais bien la totalité de l’environnement, qu’un lien singulier et organique va émerger
et donner une « visibilité aux forces » qui relient les deux sujets. La qualité    de cette rencontre est fondamentalement celle de l’ouverture.
    Les sujets vont devoir se mouvoir dans une brèche, c’est à dire un espace-temps commun, en constant bouleversement, pour trouver un point d’équilibre, étant entendu que l’équilibre est le plus grand de tous les déséquilibres. Apparaît ici l’obligation de se situer dans un réel dialogue avec l’autre et l’espace, car la fragilité de la spatialité ainsi engendrée implique une relation de connivence implicite et de communication explicite entre les deux parties, « car les
énergies    que    je dégage ne vont pas te blesser » nous dit Dobbels.
 
    Au travers de cette entité organique, que nous pourrions qualifier    « d’espace mitoyen », le passé et le futur ne comptent pas. En effet la relation est certes inscrite dans le temps qu’on lui donne, mais l’essentiel réside en la possibilité d’un devenir, et non d’un futur.
    De ce fait, la place faite à l’imaginaire est essentielle. On ne sait pas ce qui va arriver, et on ne doit pas le savoir. Il suffit de laisser l’imaginaire prendre le dessus. Cependant, il ne faut pas entendre imaginaire au sens où, chaque individu sujet va se reconstruire une réalité imaginaire qui dramatisera cette expérience. En effet, l’imaginaire ne doit pas être vu comme une re-construction d’un sens individuel. Pour que la rencontre mitoyenne puisse s’établir, et qu’un langage commun se crée, il faut que l’individu se libère de son égoïsme singulier pour mettre en avant sa singularité universelle. L’imaginaire prend alors toute sa consistance puisque à l’intérieur    de cette mitoyenneté le ou les sujets, flottent, tremblent, oscillent, dans un vide qui n’est pas néant mais aspiration et suspension.
 
    Lorsque l’intellect social et / ou sociétal est déconnecté, c’est à l’organique de prendre le relais. Dès lors, la pensée se fait tout à la fois abstraite et concrète, sensible, et c’est un imaginaire du corps qui prend naissance. Comme l’énonce Bachelard, évoquant le statut de l’image poétique, dans la poétique de l’espace, c’est ici la profondeur qui est touchée avant la surface. La pulse du déséquilibre    ainsi créé projette le ou les sujets dans un environnement en constant bouillonnement, et les fait voyager en eux et au travers d’eux. Ils se rencontrent grâce
au lâché prise qu’ils s’accordent avec leur intellect social, au profit d’une sensibilité accrue, d’une véritable expérience organique de rencontre non blessante.
 
2  Laurence Louppe, poétique de la danse contemporaine, contredanse
Singulier et Universel...
 
 
« Danser ce serait parler de cet intime profond et singulier, dire
ce quelque chose individuel et immensément universel. »3
 
 
    Se laisser osciller dans et au-dessus du vide, c’est faire l’expérience inouïe, de son être décentré.    C’est abandonner le social au profit de l’organique, renoncer à l’image de son corps représenté, pour toucher le sensible. Le sujet se retrouve directement confronté à des sensations qui semblent n’appartenir qu’à lui. Pression des appuis, sensation de poids, de vide,
de suspension. Le système nerveux est constamment sollicité par l’énergie pulsionnelle mise à
l’œuvre dans ce rapport à l’espace.
 
    En effet, un des premiers espaces mitoyens pourrait être celui de la peau, puisqu’il s’agit de la première interface du corps, entre le dedans et le dehors. Première distance, mais aussi premier flottement. On se touche, on touche, on est touché, tout comme on regarde, on se regarde et on est regardé. Mon corps m’appartient mais il est une donnée que nous partageons
au travers de ce corps qui nous est commun ; la sensation que quelque chose est en train de
devenir, d’advenir.
 
    Ainsi, l’espace mitoyen pourrait être cette entité où plus rien ne s’oppose, où tout est dialectique. Parler de cet « intime profond », que l’individu découvre en se questionnant sur son être dans l’espace. Sentir tout son être entrer en vibration est une expérience intensément individuelle. Mais pour y parvenir, il faut accepter l’autre, accepter ce dialogue avec l’espace qui va réveiller tous les pores de la peau, et accroître le sensible. Chaque « un » est différent de « moi », mais malgré tout nous sommes identiques grâce à nos corps, si dissemblables, mais faits de la même matière.
 
3  Mic Guillaumes, traces pour mon abscence, colloque enseignement artistique, Le Havre, 12 mars 1996.
4  Ibid.
 
 
Temps...
 
 
    A la lueur de cette expérience, il convient d’émettre la possibilité que l’espace mitoyen
est le lieu du « temps étiré ». C’est à dire l’endroit où chacun prend et se donne le temps nécessaire de l’expérience, et de l’assimilation de cette expérience. Le temps étiré est donc le temps infini de l’instant, c’est-à-dire une suspension entre le passé (qui nous pousse à  expérimenter de nouveau) et le futur (source de critique car devenir de l’action).
 
    Ainsi, dans cette suspension du temps la question du présent n’existe pas, le doute est constant. Et cette instabilité, ce flottement, mettent en avant la nécessité de comprendre l’instant comme le vecteur d’un devenir infini. La notion de durée est elle aussi bousculée. Par temps infini d’instants, il ne faut pas entendre temps long, ou succession d’actions fugitives.     
La durée métrée n’a plus prise, on évolue dans le temps du faire, de l’action, qui est une entité indissociable du tout formé par l’acte spatial mitoyen.
Et Etres....
 
 
 
    Poser la question du « être ensemble », du comment faire, pour cohabiter avec l’autre ?
 
 
« L’enfer des vivants n’est pas pour demain. S’il en existe un,
il est déjà là, cet enfer que nous habitons tous les jours celui
que, en étant ensemble, nous constituons. Il y a deux moyens
pour ne pas en souffrir. Pour beaucoup le premier ne pose pas
de problème : accepter l’enfer et en faire partie pour ne plus le
voir. Le second est risqué, il exige en permanence de l’attention
et des apprentissages : rechercher et savoir reconnaître qui et
quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer,
et lui donner de l’espace. »
 
    
Donner de l’espace à cette entité qui n’est pas l’enfer c’est aussi lui donner une visibilité. Ainsi, l’individu qui accepte l’expérience du vide, de l’entre deux, du flottement, s’ouvre au monde pour mieux le recevoir. Dès lors, le vivre ensemble n’est plus une question, ni une souffrance, mais un état de fait qui traverse les individus, les transcendent.
 
    Ce travail relatif à l’espace, aux autres, à une entité que nous dénommons mitoyenne, va donc réhabiliter l’individu entier dans son environnement. Et de ce fait lui permettre de se resituer dans un espace du devenir de l’histoire de chacun. Ré-apprendre l’autre au travers de sa propre singularité afin de toucher l’universel. Espace de cristallisation de la vie, il ne doit pas être vu comme une séparation ou une interface simple, car ce qui est intéressant ne réside pas dans le connu, c’est à dire les deux points qui le borne, mais dans la distance entre ces deux points. Dans ce qui relie et sépare. Dans la multitude des chemins de traverses qui s’offre à nous, dans la liberté retrouver de l’être mouvementé.
 
5  Italo Calvino, Les villes invisibles, Le Seuil, Paris, 1974.
Technique:
 
 
 Tout les éléments donnés le sont à titre indicatifs, puisque tiré d’un exemple de réalistaion à la Compagnie Off/pOlau. De ce fait, il nous est impossible d’indiquer des quantité définie puisque il existe la variable du lieu.
 
 Matériaux:
 
   - Pain de 1,5 Kg en tranche, environ 200 kilos.
   - Lait UHT en brique, environ 100 Litres.
   - Ficelles de lieuse Bleue, environ 10 Km.
   - Eau cristaline, environs 150 Bouteilles.
   - Plexi miroir, environs 2 mètres carrés.
 
 Son:
 
   - Une table d’au moins 8 entrées permettant un son dissocié.
   - Deux micros voix.
   - Enceintes et cablages suffisants pour couvrir tout le lieu.
  
 Lumières:
 
   - Implantaion simple, pas d’effets.
   - Une découpe.
   - Un vidéoprojecteur.
   - PC de 500 pour mettre en lumière le tissage de corde
   - PC de 500 pour mettre en lumière le pain.
   - PC de 1000, environs 3 ou 4 pour mettre en lumière le lait.
 
Accueil:
 
 
    La particularité de ce projet réside donc dans l’utilisation de plusieurs matières, la danse, la musique, et l’installation plastique.
Il s’agit autant en effet d’une exposition que d’une performance mêlant danse et chant.
    Ainsi, les bases d’une résidence doivent être définie, non pas à cause d’une lourdeur
technique, les matériaux employés sont très simples, mais à cause de la complexité d’une re-création dans chaque lieu.
 
    Pour mener à bien et le travail d’installation et le travail corp / voix, pour redonner du sens à la dramaturgie, tout en prenant en compte les caractéristiques du lieu, est apparu la nécéssité d’une résidence de création d’au moins une semaine, en dehors du temps de représentation, et ce pour la globalité de la performance.
 
    Globalité car ce travail a été conçu à différentes échelles. En effet, chaque acte de la
globalité peut être détaché du reste. C’est à dire que The begining of se compose d’une série de performances telles celles du lait, où des bouteilles, pouvant être montrées indépendament du reste. Tout comme si lors d’une exposition, l’on pouvait tout à la fois considérer la globalité ou bien prendre pièce par pièce la démarche.
    Il est évident que lorsque nous évoquons une semaine de résidence de re-création hors jeu, il est question de la pièce dans son intégralité, ce temps pouvant être ramené à deux ou trois jours, pour un ou deux des éléments pris indépendament.
 
    Un temps de re-création d’une semaine car il s’agit pour nous de s’imprégner tant de
l’espace proposé, que de sa fonction sociale. Ainsi, il est important que le lieu continu de fonctionner comme à la normale, pour que nous puissions en cerner ses logiques propres.
    Prenons pour exemple la résidence de création à la Compagnie Off/pOlau, au mois de
novembre 2005. Pendant le temps d’accueil, les locaux, qui sont le lieu de fabrique de ladîte compagnie, n’ont pas cessés d’être occupé, bien au contraire. C’est en nous confrontant à la vie du lieu, à sont utilisation courante, ( montage, soudure, découpe...), qu’ils nous a été possible de réagir, de lui donner un autre sens, pour en faire un non lieu poétique, le temps de l’installation.